Rencontre avec le metteur en scène

Rencontre avec le Metteur en scène faites en Janvier 2010. Interview : Erika Galdo.


Pourquoi mettre en scène Gilbert sur scène aujourd’hui ?


Il est des rencontres qui nous marquent à jamais.
Il est des mots, des sons, des sensations qui nous font tressaillir l’échine et que l’on n’oublie pas de sitôt. Il existe des œuvres qui restent gravées dans nos cœurs, tel des piliers robustes que le temps n’affecte pas. « Gilbert sur scène », pour moi, fait partie de ces œuvres.
J’ai lu la pièce « Gilbert sur scène » en première année de ma formation à l’I.N.S.A.S, et ce fut un moment marquant et décisif dans ma formation d’acteur. Ce bijou qui m’avait été offert par Anne-Marie Loop a toujours été une référence pour moi. Là où, parfois, j’ai eu envie d’arrêter, ce monologue de Y. Hunstad, sa simplicité, son coté humain et percutant me donnait du courage, me donnait envie de continuer. Il donnait du sens à mes études, à mon métier…
Lors de mon travail du texte en première année, j’ai eu la chance de pouvoir rencontrer son auteur, Yves Hunstad, en allant le voir jouer dans sa pièce « au bords de l’eau » à la Balsamine. Après la fantastique représentation qui m’a fait rire aux larmes, il m’a invité à sa table. Yves, à l’image de « Gilbert », simple et plein d’amour, m’a reçu avec une générosité sans borne. Il a été à l’écoute : curieux et attentif. Comme le théâtre m’est apparu puissant et authentique ce soir là… J’en suis sorti grandi.
Alors, cela m’a fait rêver.
Cela m’a donné à voir et percevoir un théâtre qui me parlait, qui me convoquait : un théâtre simple, pauvre (dans « au bord de l’eau » Yves et sa compagne n’utilise qu’une table basse et deux coussins comme scénographie…) mais riche et généreux, humain et bienveillant, simple et percutant.
Un théâtre qui met l’homme et la rencontre au centre. Un théâtre proche de son public, proche d’une de ses grandes fonctions : la relation.
J’ai rencontré « Gilbert sur scène » il y a de cela 7 années maintenant.
Et ce « Gilbert », il ne m’a plus jamais quitté depuis.
J’aime dire merci.
Merci au théâtre qui m’a apporté tant.
Merci à Yves Hunstad qui m’a apporté tant. Merci au public de faire exister mon métier en venant écouter « Gilbert ».
Merci à « Gilbert » de venir sur scène prendre la parole.
Ce projet, au-delà d’être un plaisir, une joie, c’est avant tout une grande nécessité, un élan vital ! Plus le temps passait, moins je pouvais mettre ce projet de coté.
Et j’ai senti qu’il était temps de donner vie à ce projet, raconter l’histoire de Gilbert.
Je voudrais donner le plus bel espace à l’histoire de Gilbert, à ce texte, à ce qui m’apparait comme étant le message qu’il véhicule. Le partager avec le plus de générosité possible. Car il m’apparait comme riche et complètement d’actualité.


Qu’entendez-vous par un texte d’actualité ? Pourriez-vous nous partager vos envies de mise en scène par rapport au projet ?


« Dans la pièce, Gilbert nous dit :
« J’ai parfois l’impression d’être un canard sauvage qui s’est perdu, et que le « V » là, je sais plus où il est…»
Selon moi le message est clair : Gilbert est perdu. Gilbert ne trouve pas son « V ». Gilbert ne trouve pas sa place… Gilbert vie dans un monde qu’il ne comprend pas, vie dans un univers qui lui semble hostile.
Gilbert, simple et authentique, recherche son « V », sa famille, son espace, son envol. Pourrait-on dire son « utilité ? », il cherche un sens au fait d’être là, au fait d’être lui :
« Trouver une façon qui est à toi de danser, dis. Que tu as trouvé toi-même ! Etre soi même, ce serait vraiment extraordinaire… … »
Gilbert cherche, s’exprime, il partage son point de vue. Il n’est pas satisfait, Il aimerait qu’il se passe quelque chose :
« Tu as parfois envie qu’il se passe quelque chose… Je ne sais pas, moi, tu es dans la rue…/
Quelqu’un passe, il laisse tomber son sac… Que tu puisses dire : allez, je suis là. Quelque chose quoi... Pff… »


C’est cela qui m’a touché dans la pièce. Cette énergie là. Cette recherche, les questionnements de Gilbert… Ces questionnements que nous avons tous à un moment ou un autre dans nos vies non ? Cette envie qu’il se passe quelque chose… Mais Gilbert n’est pas le seul à vouloir qu’il se passe quelque chose, à ne pas trouver sa place dans la société. De nos jours ils sont de plus en plus nombreux ceux qui, à l’image de Gilbert, ne trouvent pas leur place dans notre société ; qui ont le sentiment d’avoir perdu leur « V ». C’est pourquoi le message de Gilbert me parait tout à fait vital, tout à fait d’actualité et bon à être partagé.
Certaines personnes souffrent, ici et maintenant, et il est bon de leur laisser la parole, de laisser entendre ce mal être… Rares sont les moments où ces êtres « hors jeux » peuvent exprimer leur désaccord avec ce monde. D’ailleurs Gilbert dans la vie n’aurait pas eu droit à la parole je pense, et il ne l’aurait pas forcement prise ! Je trouve beau que le lieu du théâtre soit aussi un lieu d’expression libre et équitable, où chacun aie droit à la parole. Que la scène soit un lieu de libération, d’expressions de ces sentiments enfuis en nous.


Ce monologue est donc un monologue tragique ? Le spectateur va-t-il devoir subir le mal être de Gilbert durant 1H30 ?


« Haha, bien sur que non… Mon intention n’est pas du tout celle là !
D’ailleurs Gilbert n’est pas quelqu’un de pesant, qui se plaint, et se laisse abattre… c’est quelqu’un de puissant et sa force est la suivante : il partage sa solitude avec fragilité, simplicité, avec générosité, avec une naïveté percutante chargée d’humour et d’amour pour l’humanité. En outre, la forme du seul en scène donne un coté direct et lumineux à la manière dont est traité ce sujet …Le public est et reste son partenaire de jeu, ce n’est jamais son adversaire. Gilbert, avant tout, est content d’être là. . Le texte est très bien écrit… Il faut remercier Yves.


Qu’entendez vous par Gilbert est content d’être là ?


Gilbert IL EST CONTENT D’ETRE LA. D’être sur scène… de pouvoir s’exprimer !
Il partage, raconte, rigole. Tout est traité avec subtilité, son mal être n’est que sous jacent. Ce mal être est simple, sain, il est poétique. Il ne charge personne, il ne dénonce rien. Malgré ses difficultés, Gilbert tente de rester positif et souriant. Quel plaisir, quel soulagement d’entendre quelqu’un qui dit « ca ne va pas trop parfois » et qui le dit avec le sourire, avec légèreté, avec un humour qui réchauffe :


« Vouf, ah, je fous mon pied dans une merde. Je dis nom de dieu ! On sait pas faire la fête ici, on sait pas faire la fête. Alors tu es là… Un petit bout de mégot, tu commences à frotter ça… Tu dis c’est une drôle de couleur, ce chien il doit être malade… « Eh bien Gilbert, où est ce qu’il est Gilbert ? » eh bien Gilbert, il est dehors, Gilbert, il frotte.
Je dis pourquoi ce chien que je connais pas, il a fait une crotte et que cette crotte elle est pour moi ? Tu as envie de courir après le chien ! Ha ouais ! Mais c’est une petite crotte, hein mais quand tu trouves le chien… c’est un bazar comme ça qui te saute à la gueule ! »
A une époque qui nous charge sans cesse sur les drames : la crise climatique, la crise de la grippe h1n1, la crise financière, la crise politique, la crise, la crise ; je trouve beau et bon de ne pas rajouter de crise à la crise. D’ombre à l’ombre. Il est bon de rire aux éclats.
Ce texte est véhicule d’espoir. Ce n’est pas un texte en cris et en crise, c’est un texte lumineux. Gilbert le dit lui-même :
 Moi j’ai l’espoir, moi j’ai toujours des fleurs chez moi, et tu sais, quand tu regardes tes fleurs, tu as le courant qui va de tes yeux jusqu’aux fleurs, et tu espères toujours que ce courant rebondit sur les yeux de quelqu’un d’autre, tu vois, et c’est ce rebondissement qui est l’espoir… »


Vous me dites que Gilbert a encore de l’espoir, mais en avez-vous également ?


J’imagine bien, sinon je n’aurais pas mis sur pied ce projet. (Rire)
J’aime encore croire au pouvoir du partage, au pouvoir du théâtre. A ce rebondissement entre nos pupilles. Gilbert a rebondi en moi il y a de cela longtemps, j’ai envie qu’il rebondisse dans chacun des êtres qui viendront l’écouter. J’ai envie de croire encore au pouvoir de catharsis du théâtre, et que Gilbert en disant qu’il ne trouve pas son « V » permettra aux autres qui ne le trouve pas non plus de se sentir moins seuls, moins isolés.
Mon envie est aussi simple que celle là : faire voler Gilbert dans les pensées de ceux et celles qui l’auront aimé l’espace d’un soir. Continuer à le faire vivre. A faire vivre ses pensées, son authenticité, sa perspicacité. Continuer à véhiculer ses mots, à remettre en question le monde, à susciter le débat. A donner l’envie de continuer à rêver et à nous donner les moyens de concrétiser ces rêves.
Et pour finir que l’envolée ou non soit possible, nous aurons tous, sans être trop utopiste, passer un bon moment. Chacun l’aura vécut et reçût à sa manière. Mais cela aura été, je l’espère, un moment de plaisir, un moment de partage, un moment de bien être. Et rien que cela, dans notre monde, est précieux à mon sens…


Pourriez vous nous parlez un peu de votre collaboration avec Marie Claude van lierde ?


« Oui tout à fait ; J’ai rencontré Marie Claude lors d’un séminaire de voix à Tetra qui est un centre de formation et de développement personnel à Bruxelles... J’étais à ce moment là en pleine période de rédaction de mon dossier de présentation du projet et était donc bien nourri et habité de tout cela. Lors du stage j’ai été impacté par la puissance du travail qu’elle proposait et j’ai commencé à ressentir le désir d’approfondir la rencontre avec Marie Claude... Lors du deuxième jour de stage j’ai clairement projeté des idées de recherche d’une forme nouvelle avec un soutien vocale comme pouvait le proposer Marie Claude. J’avais des images, des sensations, des inspirations et beaucoup d’envie.
J’ai la chance d’être quelqu’un qui va de l’avant et qui s’exprime clairement quitte à recevoir un non. J’ai donc été deux semaines plus tard rencontrer Marie Claude avec le dossier de présentation en lui disant : « voila écoute pour moi c’est une évidence et un plaisir que de pouvoir envisager de travailler et de chercher une forme nouvelle à tes cotés, me ferait tu cet honneur ? » Et elle me l’a fait, et me le fait, cet honneur. Elle a accepté de grimper dans la barque et de partager l’expérience. C’est d’ailleurs la première fois qu’elle participe à un projet de la sorte.


Pourriez vous nous donnez des indices sur cette nouvelle forme que vous recherchez ?


« Haha, et bien écoutez je pense qu’il faut venir voir le spectacle pour le découvrir. Nous sommes en période de recherche, et à l’heure actuel, nous sommes en janvier 2010, 4 mois avant le spectacle, je ne pourrais pas vous dire le résultat que cela donnera. Si ce n’est que je vous promets que cela sera impactant, surprenant, et agréablement nouveau. »


Et votre collaboration avec Anne-Marie Loop ? Quel va être son rôle ?


Anne marie est un peu une marraine pour moi ; en tout cas dans mon parcours théâtrale. C’est elle qui m’a fait découvrir Gilbert en première année à l’insas mais c’est elle également qui m’a fait prendre conscience et goût de tous les potentiels du théâtre. C’est encore elle qui m’a fait découvrir bien des choses concernant le jeu d’acteur et le jeu avec nez, et pour finir, lors de notre collaboration à l’INSAS c’est elle qui m’a aidée à concrétiser et amplifier mes envies et mes outils en tant que metteur en scène et pédagogue. Je vais m’arrêter la pour ne pas mettre Anne marie mal à l’aise si elle lit cet article (rire)
Alors voila, il était évident pour moi de lui demander un soutien dans ce projet, sachant également que c’est une amie de Yves Hunstad. Yves a d’ailleurs été élève de l’insas, en son temps, tout comme moi.
Anne-Marie a donc acceptée de m’accompagner et occupe une place un peu particulière dans le projet. Disons qu’elle sera une sorte de témoin, une présence, un retour, une accoucheuse. Un œil extérieur bienveillant qui va m’aider à mettre au monde mon projet, à l’accoucher. C’est une personne aux qualités énormes et je sais que nos rendez vous épisodiques me permettront de garder le cap, de ne pas me perdre dans mes idées et de rendre lisible dans le jeu mes envies dramaturgiques. Sachant que sur ce projet je dois gérer autant le jeu que la mise en scène : je considère son aide véritablement précieuse.


Au niveau de vos inspirations, pourriez vous nous partager quels sont vos grandes références ? Et plus précisément sur ce projet ci ?


« Je suis quelqu’un d’assez éclectique. J’aime me nourrir dans bien des domaines différents. Que ce soit le théâtre, la peinture, la musique, la danse et tout style artistique confondus.
Sur ce projet j’ai déjà eu beaucoup de choses qui m’ont inspiré et je pense que je vais continuer à en découvrir bien d’autres !
Si je devais citer quelques exemple je donnerais : la ligne des actions physique de Stanislavski, « note sur la mélodie des choses » de Rilke, "mars" de Fritz Zorn, "dictionnaire sur le mensonge" de pio rossi, Dario FO, l’ensemble de l’œuvre de Yves Hunstad et Eve bonfanti, et puis en peinture Munch, Schiele, en musique cela pourrait aller de Anthony and the Johnson à Bach en passant par Archive et Jorge drexler… Mais la liste est encore bien longue !


Ecoutez, je vous remercie de votre temps, vous voulez rajoutez quelque chose ?


« D’abords merci pour ce moment de partage ! Et puis j’aurais voulu rajouter une citation d’un ami metteur en scène argentin, Alfredo Iriarte (Grupo catalinas sur) qui me disait : «le théâtre doit être un endroit où les enfants voyagent, les adultes comprennent, les intellectuels y voient les métaphores, et vos amis savent vraiment pourquoi vous l’avez fait, alors vous parlez au monde ».
Je vous dis ca tout simplement pour dire que le spectacle qui devra durer 1heure conviendra à toute personne à partir de 12 ans… Il parlera tant à des ados, qu’à des adultes ou encore à des personnes plus âgées. Alors j’espère vous y voir nombreux ! Car je serais ravi de partager cette pièce mais pour cela, si le théâtre se rempli, ca pourrait aider !
Et je me ferais un plaisir de vous donner la parole à la fin du spectacle, en prenant plaisir à boire un verre dans le joli bar ou patio de la clarencière ! Et à répondre à vos questions.
Merci pour tout. A très bientôt j’espère.
Jeremy Gendrot